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14 janvier 2006

Y'a quelqu'un ?

La maison est au fond de la rue. Quasi une impasse plutôt qu'une rue. Comme il en existe beaucoup dans la ville. Rue de la Porte en Fer. On lui a dit une fois, il ne sait plus qui, auparavant cette rue s'appelait rue de la Porte de l'Enfer. Avant quoi ? Il l'a toujours connue rue de la Porte en Fer. La rue n’a pratiquement pas de portes. Des fenêtres, volets clos mais pas de portes. L’atelier est au fond, sur la gauche, juste avant l’étranglement qui ne permet pas aux voitures d’aller plus loin. Ensuite une ruelle puis un escalier qui donne sur la place de la mairie entre le café de Gérard et la maison du Hollandais. La camionnette est là. Blanche. Sans inscriptions ni sur les côtés ni sur le devant. En marche arrière. Vitres ouvertes. Sur le siège conducteur, un pull bleu clair en laine. Tricoté main. Une déchirure, un fil qui cherche à s’échapper dans le courant d’air. Sur le tableau de bord des papiers. Mal pliés, dépliés, repliés, froissés. Des plans. Des paquets de cigarettes vides ou à moitié, des cassettes. Des chanteurs qu’il ne connaît pas. Un journal. Sur la banquette passagers un sac de sport, ouvert. Une bouteille vide, un morceau de pain, une boîte plastique. Couvercle rouge. Les portes arrière sont ouvertes. Des pinceaux, des brosses, une échelle, des seaux, des plaques de plâtre, un aspirateur. Un gros, presque un tonneau. Jaune avec un tuyau bleu rafistolé avec du sparadrap, comme un gros doigt coupé. Le cou d’un monstre. Tout est couvert de poussière blanche. Plâtre, peinture, enduit. Les parois de la camionnette sont doublées de contreplaqué. Des crochets où pendent d’autres pinceaux, d’autres brosses. Une caisse d’où sortent des morceaux de papier peint déchirés. Dix-sept heures trente-neuf. Une pendule est accrochée au fond, sur la séparation d’avec la cabine. Etrange, comme un oeil rond qui surveille le matériel. A l’heure. Un rai de lumière filtre par la porte coulissante légèrement ouverte ou mal refermée. Coupe en deux l’intérieur, les pinceaux, la caisse-poubelle. Tout ça lui fait soudain penser à un après-midi cuisine avec les filles. Dans le temps, quand elles étaient encore petites. Petites encore. A la fin, pendant la cuisson du gâteau, ils avaient joué avec la farine. Tout blanc. Les bols, les verres, la table, la cuisine. Colère de Marie. Colère feinte. Elle avait pris le reste de farine dans la jatte et l’avait retournée sur la tête de la grande. Surprise, peur de se faire gronder puis éclat de rire général. Avant.

Y’a quelqu’un ? Il pousse la porte entrouverte. Une cour. Des cuves, des bacs, des poubelles. Sur chaque une pancarte écrite à la main. Inertes. Plâtre. Bois. Papier. Alu. A brûler. Solvants. Peintures. A garder. Tout paraît bien à sa place. Presque un patio de vacances. Un arbre, un peu d’ombre. Il ne manque que les verres pour l'apéritif. D’une fenêtre une musique à la fois moderne et étrangère. Du sud, de l’Afrique. Pas très fort. Juste ce qu’il faut pour rester à l’ombre, tranquillement, en attendant. Une table, des chaises en fer comme celles autrefois des terrasses des cafés de campagne. Vertes avec le dossier et l'assise en tôle perforées de petits trous qui forment un dessin. Il y avait les mêmes dans le jardin de Tante Marthe à Vierzon. Dans le fond du jardin. Toutes rouillées. Un jour de vacances, avec son frère, ils avaient tenté de les repeindre. Roses. Tante Marthe n'avait pas aimé. On les voyait trop sur la pelouse verte. Un reste de peinture de la chambre de la cousine Emmanuelle. L'année suivante la rouille avait repris ses droits. Disparues de la vue de Tante Marthe les chaises. Avant la peinture il faut gratter et mettre de l'antirouille avait dit le voisin goguenard devant le résultat. Son frère n'avait pas aimé la façon dont le voisin se moquait d'eux. Pas méchant, mais il se moquait. Un jour, il faudra penser à le zigouiller celui-là avait dit son frère en passant son pouce droit sur son cou de l'oreille gauche à l'oreille droite, il nous fera plus chier.

Il entre dans le couloir. Un bruit d'eau qui coule plus loin derrière. Il avance doucement. Un bruit de voix par-dessus le bruit de l'eau qui coule. Une chanson fredonnée sans paroles, comme un chant de tribu indienne, lamentation, incantation. Danse de la pluie. Danse des morts. Dans le couloir aussi des seaux et des bidons. De la peinture. Pas rangés mais pas en désordre les seaux et les bidons. Un désordre organisé. Il passe entre. Il pousse une porte à demi ouverte. Une pièce qui doit servir à prendre des repas. Pas une vraie cuisine, pas une salle à manger. Une pièce pour prendre des repas rapides et déjà préparés. Une table en bois, des bancs de chaque côté, de la vaisselle qui sèche sur l'égouttoir de l'évier. Un réfrigérateur, un four, une cafetière, du café dans la verseuse. Il a envie d'un café. Dans l'encadrement de la fenêtre un fil avec un torchon qui sèche au vent. Vent léger qui soulève à peine le tissu. Le bruit de l'eau qui coule, le chant sans paroles, la musique qui vient de nulle part. Il s'arrête. Ne bouge plus, ne pense plus à rien. Les bruits s'estompent dans sa tête. Il a chaud. Il ne sait pas combien de temps il est resté comme cela sans bouger les yeux fermés. L'eau ne coule plus, la musique s'est tue. Cela le réveille. Il se retourne, repart vers le couloir. Nez à nez avec un homme *nu qui le regarde étonné. Pas un homme un gosse. Pas un gosse pas un homme. Etonné mais pas déconcerté. Ses cheveux sont mouillés, son corps est mouillé. Des gouttes d'eau coulent sur le sol. Coulent le long de son corps, coulent de ses cheveux. Il ne cherche pas à cacher sa nudi*té. Il est là, il le regarde. Ils se regardent. Ce qui le frappe c'est la différence de couleur de peau du garçon. Son visage, son torse, ses bras sont bronzés, presque marrons foncés. Ses cuisses, ses jambes, ses pieds sont blancs presque laiteux. Son se*xe aussi, blanc au milieu de la toison noire. Il pense à ce jeu qu'avaient autrefois les filles. Des cartes avec des moitiés de corps qu'on mélangeait pour en créer des nouveaux. Un haut de princesse avec un bas de pompier. Un haut de gendarme avec un bas de gymnaste. Les raccords étaient parfaits. Le jeu consistait à donner des noms à ces nouveaux personnages. Un prin-pier. Un gend-aste. Une pomp-esse un gym-darme.

Là devant lui il a les morceaux de deux cartes. Un haut brun et un bas blanc. Br-anc bl-un… La ligne de séparation entre le brun et le pâle, entre la peau bronzée et la peau blanche passe au niveau des hanches. Juste sous le nombril et il ne peut détacher son regard de cette ligne si bien marquée, comme tracée au crayon. Coupée en deux par un filet de poils noirs qui part du nombril et descend vers le se*xe. Deux tranches claires, deux tranches mates.
Vous cherchez quelqu'un ? Oui. Monsieur Dos Santos le peintre, qui doit venir chez moi pour la cuisine et je n'ai toujours pas le devis et je ne sais pas quand il doit venir et je m'absente la semaine prochaine et il n'y aura personne et je voudrai savoir…..
Il se tait, essoufflé. Réalise qu'il débite tout cela très vite en regardant le garçon dans les yeux pour ne pas voir son corps. Il se tait. Les yeux sont foncés, noirs. Un peu d'eau sur les cils et les sourcils. Une petite boule d'argent au dessus du sourcil gauche. Ses yeux quittent les yeux du garçon. Le nez fin. La bouche. Pas rasé, pas barbu. Des poils sur les joues et sur le haut des lèvres. Les oreilles, percées toutes les deux. Une dans le lobe, l'autre en haut.
Le garçon s'avance dans la pièce. Vous voulez un café ? Deux verres dans le micro-onde. Le garçon nu qui va et vient dans la pièce. De dos, la séparation entre la peau pâle et la peau bronzée est encore plus marquée, juste au dessus des fes*ses. Des gouttes d'eau scintillent, prisonnières des poils. Il tient les deux verres dans ses mains avec le café chaud qui mousse un peu. Blancs en haut, noirs en bas. Noir en haut blanc en bas. Br-anc, bl-un.
Vite c'est chaud. Du sucre ? Non merci. Et Monsieur Dos Santos, il est là ? Non, parti chez un client. Un gros chantier pour après les vacances. Les vacances ? Oui, on ferme ce soir. Le patron part en vacances, au pays je crois, demain, on ferme pour trois semaines. Merde ! Pour vous pas pour moi, c'est mes premières vacances depuis plus d'un an. Et ma cuisine ? Faudra attendre ou trouver quelqu'un d'autre.
Le garçon se dirige vers l'autre pièce, revient avec un caleçon à la main. Coton blanc. Je suis désolé, mais il fait tellement chaud et j'ai pas de serviette, faut que ça sèche tout seul… Il enfile le caleçon. De dos. Jambe gauche. Au moment de passer la deuxième jambe, il trébuche se rattrape à la table. Se retourne sourit. Dents blanches. Tend la main vers lui...

Bruit du klaxon au bout de la rue qui résonne-raisonne dans la pièce....

Faut que j'y aille, merci pour le café, vous dites au patron que je le rappelle, hein ?

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Commentaires
K
Ah, la beauté des garçons… Instants électriques, instants sensuels… Toujours les plus intenses, n'est-ce pas?<br /> Merci pour ce texte à l'atmosphère d'un rêve.
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T
Sympathique ce (j'allais dire petit mais en fait non) texte. J'ai juste, si tu me le permets, cherché vainement quelques virgules et me suis heurté à certains points brisant mon élan.
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P
je ne sais pas si elle est probable ou improbable, c'est histoire, mais elle est... haletante, on va dire. Et statique à la fois, comme écrassée par la canicule. Un beau texte.
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C
belle histoire...<br /> vraie ou fantasmée ?<br /> très belle en tout cas!
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