Mon manège à moi c'est...
Le soleil est revenu. Il sort. Le vent est froid. Il remonte le col
de son manteau. Ses pas le portent vers le centre de la vieille ville.
Il n'avait jamais fait attention à toutes ces maisons délabrées. Elles
ont toutes au moins deux cents ans d'âge. Les habitants ont fuit le
centre ville. Pas de place, pas de garage. Loin du parking. Maintenant
il faut que la voiture soit devant la porte. Il faut être prêt à
partir, prêt à fuir... A tout instant... Il faut le jardin, le lopin de
terre avec le massif de fleurs crevées qui grelottent dans le vent
d'hiver.
Les
poutres des bâtissent
apparaissent sous le crépi qui part en lambeaux. Ces maisons sont
belles, abandonnées au vent et au pâle soleil d'hiver. Des planches
couvertes d'affiches en ferment l'entrée. Un chat maigre et sale glisse entre ses jambes. Il s'apprête à le caresser
quand il se rend compte de sa saleté. retire sa main. Petit
chat sale et mal aimé qui miaule doucement en s'infiltrant dans un trou de la palissade.
Musique.
Il descend la rue principale et, sur la place, en bas vers la rivière
découvre le manège qui tourne au ralenti. Pas d'enfants, pas de
parents. Juste le manège qui tourne seul au son du dernier tube à la
mode. La caissière emmitouflée dans son écharpe qui attend dans sa
petite guérite. Il s'assoit sur un banc proche. Il se souvient des
manèges d'autrefois. Les avions. Il faut tirer sur un manche
pour que l'avion s'élève dans le ciel du manège. Il a un peu peur.
Son frère à côté, plus petit mais plus téméraire veut monter encore
plus haut. Lui, il n'ose pas dépasser l'horizontale. Plus haut,
l'avion penche sur la gauche. Il a peur de tomber....
Ensuite,
plus tard, la chenille, "L'Himalaya", avec la capote qui se referme à
grande vitesse. Il y va avec F. la copine du collège. Serrés l'un
contre l'autre, dans l'obscurité et le bruit des chariots qui
tournent, tournent... F. collée contre lui, cuisse contre cuisse.
Il se place du côté extérieur. Elle à l'intérieur, poussée par la
force centrifuge de la machine résiste un peu, les mains crispées sur
la barre de sécurité, puis immanquablement se laisse glisser contre
lui, cuisse contre cuisse, main contre main, corps contre corps.
Premiers contacts, premiers émois.
Ensuite,
après, les
auto-tamponneuses. Tous les deux serrés aussi, chahutés, bousculés,
tamponnés. Il préfère de beaucoup "L'Himalaya". "Vous en voulez
encore? Un p'tit coup en marche arrière ? Accrochez-vous, ça repart..."
Etourdis par le bruit et les sifflements de la machine ils
redescendent sur terre, rougissant en réalisant qu'ils se tiennent
par la main devant les copains qui rigolent. Il a un mouvement brusque
pour retirer sa main de la sienne, mais elle lui jette un bref
regard et serre ses doigts autour de ses doigts, à lui.
Elle
est arrivée près du manège, tenant par la main un petit garçon. 6 ans.
Elle semble triste, résignée. Le petit veut faire un tour. Monte dans
l'avion. Elle achète des tickets, en tend un au garçon et va s'asseoir
sur une des chaises disposées au bord de la piste. Lui, un peu en
biais, voit son profil qui se détache sur la toile bleue repliée. Il se
lève, vient s'asseoir sur la chaise à côté d'elle. Elle pleure alors
que le garçon crie et rit dans l'avion qui monte doucement. Elle
pleure, doucement. Les larmes coulent de ses yeux, s'arrêtent sur les
joues, s'immobilisent. Il tend la main, il prend sa main à elle dans sa
main à lui. Elle ne dit rien, elle ne bouge pas. Il réalise qu'il tient
la main d'une inconnue... Il a un mouvement brusque pour retirer sa main de la sienne, mais
elle lui jette un bref regard et serre ses doigts autour de ses
doigts, à lui.