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7 février 2006

Bleu de chauffe

Encore un livre que je viens de finir et que je vous conseille fortement. Bleu de chauffe de Nan Aurousseau. Je vais pas vous raconter sa vie ni le bouquin c'est très bien fait là ->Télérama
J'ai simplement envie de vous recopier un passage pour essayer de vous mettre l'eau à la bouche....

.... page 94 ....

"Le piège", c'est comme ça qu'on pourrait nommer la société. Ca m'a tout de suite rendu complétement associal. Aux environs de mes dix-huit ans j'avais un colt 45 à la main et toujours avec mon pote Jo, le dimanche vers treize heures, on attaquaient joyeusement les PMU. Le reste de la semaine on se reposait en préparant le coup suivant.
Je ne voulais pas être un mimile, comme on appelait les prolétaires. On ne voulait pas ressembler à nos pères, des perdants de la vie qui tous les jours se "rendaient" au boulot pour nourrir leurs gosses et tous les soirs rentraient bourrés à la maison. sauf qu'à la fin du mois les gosses se tapaient sur le ventre et qu'ils attendaient le "payeur" des allocs pour lui dérober sa sacoche pleine de pognon en liquide et pouvoir rembourser le croum.
Mon père travaillait comme un forçat mais on était mal logés et on n'avait jamais assez pour finir le mois. Ma mère devait en permanence des ronds à l'épicier. Un jour on a été expulsés de notre taudis, les six mômes à la rue et pas de relogement. Pas besoin d'être Einstein pour comprendre que la roulette était truquée et que notre perte était calculée. Seulement voilà, avec mon pote Jo et moi, ils s'étaient gourés dans le calcul.
Tout s'était très mal terminé, naturellement, avec des blessés graves par balles. On est passés en cour d'assisses. On a été condamnés à sept ans de réclusion.
Deux jours après le procès, le proc a eu une attaque fulgurante de la maladie de Parkinson, il est devenu soudainement gaga, il n'a plus jamais plaidé. Je n'ai pas pu m'empêcher de ricaner dans ma cellule d'isolement quand j'ai appris ça, parce qu'on apprend ce genre de chose même au fond d'un cachot. Encore aujourd'hui je trouve le synchronisme tout à fait correct. Et qu'on ne vienne pas me dire que je suis responsable de cette attaque, je n'ai jamais donné dans l'attaque cérébrale à distance.

C'était bien les assises. La une du journal aussi, j'ai beaucoup apprécié. Pour une fois, on parlait de moi et il y avait même ma photo dans les faits divers. Bon, ça n'était pas encore la page culturelle mais il faut bien commencer quelque part.
Maintenant c'est plus pareil. Le système judiciaire a compris que c'était valorisant pour les garçons les assises, alors ils ont introduit l'appel. Ca fout tout en l'air et maintenant les assises ça ne vaut plus rien, c'est exactement comme la correctionnelle sauf qu'on peut prendre perpète.

Je disais "le piège", parce que ces domestiques n'ont rien trouvé de mieux à faire que de me coller dans un centre d'apprentissage, à la fin de ma peine, pour mes dix derniers mois. Et pour m'apprendre quoi ? Pas le journalisme, non non, la plomberie. Alors que je leur avais hurlé, les armes à la main, que je n'en voulais pas de tous leurs métiers de merde, que j'avais pas la vocation de récurer les chiottes. Et bien non, il fallait que je retourne là d'où j'étais sorti. Et ils étaient nombreux, dans les commissions de semi-liberté, à trouver ça fantastique que je puisse apprendre un métier avant de me lâcher, au bout de six ans de taule, en liberté conditionnelle - avec eux la liberté était toujours associée à des mots tels que "provisoire", "conditionnelle", "semi"...
Les mâchoires du "piège" se refermaient une nouvelle fois. Dommage, parce que franchement j'avais bien apprécié les années de taule. Mais bon, ce n'était que pour six mois et je ne comptais pas m'éterniser dans le métier de plombard. Rien que le mot je ne pouvais pas le saquer. De toute façon, maintenant, le plomb c'est interdit. On devrait nous appeler les "plastiquards".
En quelque sorte, la prison m'a sauvé. Mais je suis un cas. Il ne faudrait pas en conclure que la prison est quelque chose de merveilleux, surtout de nos jours. De nos jours la prison c'est comme beaucoup d'autres choses, ça ne vaut plus rien : camisole chimique à fond les grelots associée à la téléréalité vingt-quatre heures sur vingt-quatre, imaginez les dégâts dans la tronche des jeunes détenus qui se retrouvent à six, voire huit par cellule et qui se branlent tous ensemble sur le porno du samedi soir.
"Est-ce que tu la sens?
- Oh oui je la sens.
- Est-ce que tu la sens bien ?
- Oui oui, je la sens bien !
- Tu la sens vraiment ?
- Oui je la sens, je la sens bien."
C'est pas avec des dialogues aussi bien écrits que les mômes des quartiers dits sensibles vont apprendre à s'en sortir. D'ailleurs on devrait dire "quartiers à vif", pas sensibles, ça ne veut rien dire sensibles, enfin si, ça cache bien ce que ça ne veut pas dire tout en disant quand même quelque chose sur cette putain de soi-disant pudeur des hypocrites de service pour le léchage de la raie du cul des profiteurs. C'est pour ça qu'ils sont à vif les quartiers, ils les ont écorchés vif les pauvres, pour se payer du bébé phoque et des tableaux de bord en ronce de noyer.

bleudechauffe

En relisant ce passage,je peux m'empêcher de repenser à quelques uns de mes anciens élèves .....

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Commentaires
C
et bien aimé...<br /> c'est de la littérature "virile", ça, comme j'aime!
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K
Le jour où l'on comprend que la misère est reine de tous les maux, on a tout compris.<br /> Tous les grands de ce monde l'ont parfaitement compris. Nos maux leur sont précieux pour asseoir leurs pouvoirs…<br /> …d'où l'intétêt d'entretenir la misère…<br /> Et ce n'est pas de la parano… malheureusement…
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