Obsessions (4)
Celui qui, pour l'amour, n'aimait que les peaux grêlées.
Celui qui arrachait toujours les pétales des fleurs sans les cueillir.
Celui qui épinglait les fourmis.
Celui qui s'amourachait toujours de femmes saphiques.
Celui qui n'aimait que les odeurs d'huile, de garage et de cambouis; ou celles de sueur, de chaussettes trempées et de maillots collés; ou celles de chaux, de chantiers boueux et de salopettes de maçons.
Celui qui multipliait les doubles vies, si bien que personne jamais n'avait eu l'idée de le soupçonner.
Celui qui collectionnait la poussière.
Celui qui s'était fait coudre les paupières.
Celui qui fouettait les bêtes à mort pour en faire une œuvre d'art.
Celui qui violait les volatiles en leur coinçant la tête dans le tiroir.
Celui qui vivait au milieu des plumes.
Celui qui, la nuit, se relevait dix fois pour se mettre à genoux et faire sa prière.
Celui qui dormait toujours avec un oreiller vide à côté de lui.
Celui qui ne voulait pas grandir.
Celui qui, grâce à ses appareils perfectionnés, épiait les conversations de ses voisins, y compris leurs débats intimes.
Celui qui montrait toujours sa queue aux fillettes, dans les couloirs des immeubles.
Celui qui cherchait à vivre exactement la vie d'un autre.
Celui qui relevait toujours, dans un tic nerveux, le bord gauche de sa lèvre supérieure, et laissait découvrir les dents.
Celui qui avait toujours l'œil fixé sur le calendrier, dont il avait défini scrupuleusement les jours fastes et néfastes.
Celui qui adorait croquer les fruits de mer comme des pralines.
Celui qui répétait qu'aucune mort au monde n'est un malheur, et même n'a la moindre importance.
à suivre…
Jean-Luc Hennig, in "Le Fou parle", n° 24 mai/juin 1983
Petit hommage à Georges Perec