Obsessions (5)
Celui qui n'aimait que les langues mortes, que personne jamais ne parlerait plus.
Celui qui ne pouvait parler aucune langue étrangère.
Celui qui se caressait à l'intérieur en regardant les autres.
Celui qui ne faisait plus rien qu'en public, y compris l'amour.
Celui qui n'aimait que les tons de violet, un peu passés.
Celui qui, pour l'amour, regardait d'abord aux dents et aux fesses.
Celui qui déménageait à tout bout de champ, jusqu'à louer des chambres en hôtel, par goût de l'aventure.
Celui qui n'aimait que la souffrance dans l'amour.
Celui qui n'aimait que les Portugais ou les Florentins, râblés et bien découplés, et assortis d'une moustache.
Celui qui ne comptait plus que par dizaines, comme à la belote, les garçons qu'il avait aimés, et qui dépassaient sensiblement les 3000.
Celui qui se définissait lui-même comme un gratte-talons.
Celui qui avouait être un mangeur d'araignées.
Celui qui n'aimait les enfants qu'entre deux âges: 9 et 13 ans.
Celui qui imaginait que sa vie était réglée par des signes du destin, dont il était toujours à l'affût.
Celui qui aimait se frotter le cul dans des torchons mouillés.
Celui qui croyait toujours avoir tout vécu, et se fatiguait encore plus à cette idée.
Celui qui aimait tellement les pochettes à ses vestons qu'il les assortissait à sa météorologie personnelle.
Celui qui établissait des records, celui qui les recensait pour en faire un livre, celui qui recopiait les plus excentriques pour en faire un article, celui qui s'inspirait de cet article pour en faire une définition: de quoi au juste ?
Celui qui recopiait tous ses rêves.
Celui qui, à la terrasse des cafés (et, le plus volontiers, place d'Italie), notait tout ce qui passait.
Celui qui ne lisait, dans les livres, que les sommaires, tables et index. Parfois aussi, il regardait les images et les croquis.
à suivre…
Jean-Luc Hennig, in "Le Fou parle", n° 24 mai/juin 1983
Petit hommage à Georges Perec