Ceux qui se font chier.
Je pense à tous ces gens qui se font chier dans leur tanière. Et qui essayent de s'en sortir. Je pense à tous ces gens qui en ont marre de faire la tournée des bars. Et de rentrer seuls chez eux. Au final, la même vieille biture qui dure. Je pense à ceux qui font semblant de rire dans un dîner parce que ça ne se fait pas en société d'afficher une gueule de malheur. Je pense à ceux qui se retiennent de sortir ce soir. Parce qu'ils savent qu'ils feraient une gueule à geler le climat. Je pense à ceux qui dorment trop. A ceux qui ne dorment plus. A ceux qui bouffent trop. A ceux qui font tous les noms de leur agenda personnel. Parce que ça suffit, ces murs, ce frigo vide et cette musique de Brahms. Je pense à ceux qui décrochent leur téléphone. Pour qu'on ne les appelle plus. Et à ceux qui voudraient appeler. Et qui ne le font pas. Je pense à tous ces gens seuls. Et ça fait un monde entier. Dans un lit vertigineux. Avec rien que des os froids, une biscotte émiettée et deux oreillers. Dont un ne sert pas en ce moment.
Sylvie Caster, "Le Fou parle" n°21/22 novembre/décembre 1982
Bonnot "Le Fou parle" n°20 avril/mai 1982